Intelligence Economique & Compréhension (2)
Comprendre c'est aussi manipuler !
La manipulation des esprits à des fins stratégiques ne sera utilisée que lorsque l'anéantissement de l'autre par des faits d'arme, de guerre ou de conquête s'avérerait impossible. Mais là encore, elle ne peut être efficace sans la compréhension des forces et faiblesses de l'adversaire ou de l'individu/organisation à manipuler.
Si le grand maître Maurits Cornelis Escher réussit presque à nous faire croire à l'existence d'un mouvement perpétuel d'une roue à aube grâce à sa célèbre lithographie de 1961, c'est parce qu'il a bien compris les limites et la faiblesse de la vision humaine et qu'il a mis cette compréhension au service de son ambition : Nous faire croire à l'impossible !
Les grands penseurs du 17ème siècle étaient persuadés de deux choses: un que la nature était gouvernée par des idées, des principes et des lois émanent de dieu, en dehors de tout concept temporel, et deux, que les nombres et équations mathématiques étaient plus réels que ne l'est le monde physique qui nous entoure.
Les mathématiques sont vraies (plus vraies que l'univers physique), dieu a créé les mathématiques, donc dieu est vrai ! Du syllogisme au service de la manipulation des esprits dans le but de prouver "scientifiquement" l'existence de dieu. Ce que près de mille ans de croisades sanglantes et de sauvageries au nom d'un dieu unique, n'a pu faire admettre par le fer, les philosophes scientifiques du 17 & 18 ème siècles auront voulu nous le faire croire par la plume.
Ce point de vu était largement répandu aussi bien chez les philosophes que les scientifiques les plus connus de cette époque (Kepler, Descartes, Galilée, Newton..,). Descartes, mathématicien et père du cartésianisme, soutenait que la matière n'était qu'une extension de l'esprit et que certaines des idées qui nous trottent dans la tête, sont en fait innées et non acquises par expérience. A l'évidence, il s'agit là de la part du chef de file de la philosophie moderne, d'un "plaidoyer" pour nous faire admettre l'à priori de l'existence de dieu.
Imaginez la tête des parents d'un nouveaux né qui proclame dès sa naissance " Deux choses égales à une troisième, sont égales entre elles". C'est caricatural mais c'est exactement ce qu'ont laissé entendre René Descartes et nombreux de ses disciples comme Spinoza ou Malebranche.
En intelligence économique la manipulation, appelée communément "jeux d'influence", "lobbying" ou encore "plaidoyer", sert à atteindre ses propres objectifs, défendre ses propres intérêts, par l'utilisation des autres acteurs, le plus souvent à leur insu, après avoir décelé leurs faiblesses ou failles. Qu'il soit organisé entre individus, organisations ou Etats/nations, le jeu d'influence moderne relève des mêmes pratiques de tromperie, d'intimidation ou de fins-qui-justifient-les-moyens que ce qui était enseigné par Sun Tzu et Machiavel.
Cependant Comprendre sert aussi à créer une intelligence collective !
La compréhension, puissant moteur de destruction entre individus ou Etats décidés à en découdre, devient une force créatrice d’intelligence collective une fois que l’affrontement cède la place à l'anticipation du devenir collectif grâce à une communication libre, spontanée, et en flux continu.
Qu'importe le sujet sur lequel le groupe communique, tout se passe comme si l’existence d'un faisceau de communication, la densité et l’intensité de son arborescence, soient à l’origine de la création d’une "mémoire collective" dont l'une des spectaculaires manifestations serait une forte cohérence d’opinions de façon spontanée et en l’absence totale de concertation.
Dans son "Essay concerning Human Understanding" publié en 1690, John Locke, le "Voltaire” Anglais, écrivait : "Il n'existe pas de principes innés dans l'esprit. La doctrine du caractère inné de certains principes comme les lois de la pensée ou les principes de la morale, est basée sur leurs compréhension et leurs acceptation universelle par l'humanité ". En d'autre termes, ce que René Descartes prenait pour des idées innées venant de dieu, John Locke les tenait pour preuve d'une compréhension intuitive universelle de notre existence et de nos arbitrages "Intuitive Knowledge", faisant ainsi un pas certes timide, mais un pas clair vers la découverte de l'existence d'une intelligence collective.
Trois siècles et demi plus tard, un pas de géant sera fait dans ce sens avec ce que Rupert Sheldrake a désigné sous les termes de "Morphic Résonance" (Psychological Perspectives-1997), démontrant qu'une mémoire collective existe bien du fait d'une répétition "standard" du schéma cognitif, peu importe le contenu des échanges entre individus.
En clair, c'est la forme du véhicule de communication qui créé une résonnance intelligente et une mémoire collective, et non pas son contenu, qu'il soit intelligent ou pas.
L'intelligence économique, et ce sera mon mot de la fin, en mettant en œuvre des outils tels que la veille, le benchmarking, la gestion des connaissances, la mise en réseau et l'anticipation, le tout à l'écoute et en harmonie avec notre environnement, n'est-t-elle pas en train de créer le même phénomène de "Morphic Résonance" dont parlait Sheldrake ? La réponse vous paraîtra encore plus évidente à la lecture du prochain article.
Prochain article : Anticipation & Intelligence Economique
Bérosus
Le 21 février 2010